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« Monsieur Bon Dieu ne pensait sûrement pas, en éteignant ce vieux volcan, que ses flammes finiraient par servir de vélodrome, vélodrome olympique, avec virage unique et piste sans cesse montante. » Quand Jacques Goddet, directeur du Tour de France, lance cette phrase au lendemain de la première arrivée au sommet du puy de Dôme, le 18 juillet 1952 dans L’Équipe, la satisfaction peut se lire dans ses paroles.


Faire venir la Petite reine sur le volcan était un choix, peut-être né en 1951 lors du premier passage de la Grande boucle, par Clermont-Ferrand. La vue du Géant d'Auvergne a sûrement donné des idées aux organisateurs qui l'ont intégré dès l'année suivante lorsqu'il a fallu désigner les premières arrivées en altitude. 


« Jacques Goddet avait un projet : rapprocher les montagnes de Paris avant le cinquantenaire », explique Christian Prudhomme, actuel directeur du Tour de France. Et la situation géographique du Géant d'Auvergne offre une opportunité intéressante. « L'idée d'un final sur le puy de Dôme a grandi car il est tout près de Paris. Aujourd'hui, pour revenir sur la Capitale, on dispose de trains et d'avions, ce qui n'était pas forcément le cas auparavant », poursuit le patron du Tour.


Si « Monsieur Bon Dieu » ne pensait pas que ce volcan terminerait en vélodrome, il a dû en apprécier le divin spectacle offert par tous les demi-dieux du vélo qui se sont présentés treize fois à la grand-messe puydômoise. Un spectacle rendu possible par la création de la route menant vers le sommet dans les années 1920.


Celle-ci, bien qu'étroite, offre la possibilité au Tour de s'élever vers les cieux. Le volcan possède une typologie atypique comme l'analyse Christian Prudhomme : « La montée est raide. On s'enroule, on s'enroule en escargot sur une pente à 12 % avec un mur de pierre d'un côté et de l'autre, le vide... C'est unique ! Ça n'arrive jamais qu'on monte comme dans un escalier ». Une arrivée spectaculaire qui met les organismes à rude épreuve.


Pour diffuser la bonne parole, il fallait une puissance fusse-t-elle technologique qui décuplerait la portée des exploits qui s'y accomplissent : la télévision. Les années 1950 voient l'utilisation de ce média se démocratiser. On n'entend plus seulement à la radio les prouesses des Dieux de la piste, on ne voit plus seulement les photos, dorénavant le spectateur peut vivre un résumé de l'épreuve chaque soir sur son écran.


En 1959, l'étape du puy de Dôme est diffusée en direct à la télévision. Un hélicoptère est utilisé afin de retransmettre en direct les images d'une étape de montagne. Les Français mais aussi les Européens peuvent désormais suivre les exploits des coureurs qui escaladent les montagnes, plus seulement pour des passages, mais pour des arrivées qui les forcent à donner le meilleur d'eux-mêmes, et où seuls ceux qui en sont dignes sont élevés au rang de légende de la discipline. Car il faut des qualités, de l'abnégation, du surhumain pour gravir ce puy de Dôme. Quatre kilomètres et demi de pentes ardues allant de 6 à 7 % en moyenne avec une pointe à 14 %.

1. NAISSANCE D'UN MYTHE

Un mythe de ce nom se forge avec des exploits sportifs. Le tout premier, en 1952, est couru à reculons par les protagonistes. La perspective de grimper le puy de Dôme n'enchante pas des héros en souffrance qui pestent contre ce Tour assez dur. Ils pensent que l'étape clermontoise aurait pu leur être épargnée. Mais hors de question que les organisateurs annulent l'étape et la foule se presse pour soutenir le régional de l'étape, attendu pour un « coup » : Raphaël Géminiani.

 

Malgré une réelle volonté et une vaine tentative, le Clermontois ne parviendra pas à surpasser celui qui gravera son nom au palmarès du Géant d'Auvergne : Fausto Coppi. Le Campionissimo éblouit la Grande Boucle de toute sa classe en s'adjugeant les trois premières courses en altitude (Sestrières, Alpe d'Huez, et le puy de Dôme). Témoin direct de l'ascension de Coppi, Géminiani se trouvait encore devant à quelques hectomètres de l'arrivée et se souvient : « Je vis soudain surgir Coppi qui me laissa sur place, s'envolant littéralement sur la cime ! » Le Campionissimo grimpe vers les cieux et rattrape Jan Nolten pour lui griller la politesse et la victoire. 

 

Lors du second passage par le sommet des Dômes en 1959, sous un soleil de plomb, Géminiani déclare après une éprouvante course : « Mais c'est pas possible, on l'a rallongé ce puy de Dôme ! Je n'en voyais pas la fin ! Mon dieu qu'il était long ce dernier kilomètre. » Des paroles qui font échos aux images fortes laissées par Luis Ocana, sous masque à oxygène à l'arrivée de sa deuxième victoire en 1973 (après celle de 1971). L'Espagnol est d'ailleurs le seul à avoir accompli l'exceptionnel doublé avec le Néerlandais Joop Zoetemelk (1976 et 1978).

 

Des performances qui forcent le respect et qui tranchent avec le passé moins glorieux du cyclisme, sur fond de multiples polémiques. En 1969, Pierre Matignon, lanterne rouge avant l'étape clermontoise, écrit une des histoires les plus ubuesques des étapes sur le volcan auvergnat en s'imposant devant le Dieu vivant qu'est Eddy Merckx. Le tout après avoir été pénalisé de 20 minutes quelques jours plus tôt pour un contrôle anti-dopage positif. Ce jour-là, le dernier fut le premier.

 

Le leader belge est un damné du divin volcan. Six ans après l'outrage Matignon, la folie humaine le frappera au foie en pleine ascension, entouré par une foule qui vient chaque année noircir de monde le volcan. Une marée humaine difficile à gérer. On l'estime à plus de 100 000 personnes en 1975 et 1976, et même à 200 000 (!) en 1978 pour assister à la deuxième victoire de Zoetemelk.

 


Une popularité qui met le volcan à rude épreuve. Il vit de plus en plus mal le passage d'un Tour qui tend vers le gigantisme : pelotons, véhicules et staffs. Les voitures sur le sommet et les personnes jonchées tout le long de la montée laissent des traces. Érosions, pollutions, le volcan est dans un état méconnaissable après chaque étape puydômoise.


En 1988, afin de le soulager, un écran géant est installé au pied du puy de Dôme pour suivre l'étape en direct. Et c'est devant les écrans de la France entière, que deux ans plus tôt, l'ancien Président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, se permet une boutade sur le maillot jaune, l'américain Greg LeMond. En direct sur le plateau d'Antenne 2, il se lâche : « Vous savez ce que ça veut dire LeMond ? Ca veut dire citron (lemon, NDLR), alors s'il gagne les courses et bah c'est parce qu'il est pressé ! » 


Un moment de détente qui renvoie au vibrant hommage de 1971. Malgré des conditions dantesques, une poignée de mordus accueille Poulidor au sommet du Géant d'Auvergne, la veille de l'étape. Écarté du peloton à cause d'un zona, le Limousin effectuait le tracé du Tour vingt quatre heures à l'avance pour RTLPoupou après avoir posé le pied à terre, eut d'ailleurs cette réaction : « Il n'a pas changé, il est toujours aussi dur... ».


Une souffrance dont il se rappelle et toute la France avec. En particulier celle de 1964, une souffrance qui force le respect et la reconnaissance. Un duel qui reste dans les esprits car deux hommes sont allés au delà du sport. Le duel Anquetil-Poulidor scinde la France en deux. La classe et le talent d'Anquetil contre le courage et l'abnégation de Poulidor. Deux qualités qui conduiront Poupou, deux ans plus tard, à laver l'affront d'un Tour 1975 raté (19e au général). « J'avais plus de quarante ans et Raymond Delisle racontait dans la presse qu'il préférait mourir sur son vélo que de se faire battre par un grand-père. Au final j'ai battu Delisle sur le puy de Dôme et pris une option sur la troisième place ! », se rappelle L’Eternel second.


Autant d'histoires qui ont fait la légende du volcan auvergnat. « Bien sûr que le Tour a contribué au prestige du puy de Dôme ! D'ailleurs, on reçoit toujours énormément de courriers provenant de la France entière et même des pays européens. Les gens veulent faire la montée en vélo pour revivre le duel entre Anquetil et Poulidor ! », conclut Philippe Morge, directeur du puy de Dôme.

«  J'ai un petit coup de cœur pour le puy de Dôme. D'abord parce qu'il appartient à l'Histoire du Tour. Élie Wermelinger, qui était à l'époque le commissaire général, a eu une idée excellente en suggérant les arrivées en altitude en disant que ça allait valoriser l'effort des grimpeurs.


Il me disait  : "Le Tour de France ne doit pas être prisonnier de son titre, c'est-à-dire longer de plus ou moins loin les frontières et les côtes. Il doit pénétrer à l'intérieur de l'Hexagone, car il y a des difficultés très intéressantes, comme le Massif Central, les Cévennes. Et il faut absolument explorer ces obstacles."


C'est une sorte d'escalier en colimaçon. Ça n'est pas du tout le profil des autres obstacles. En plus on arrive sur un volcan. Et le Giro s'en est inspiré, en organisant une arrivée au sommet du Vésuve.


Le puy de Dôme était un obstacle très redouté par les coureurs. Ce n'était pas le plus long, mais c'est un obstacle qui faisait peur au même titre que le Ventoux ou l'Alpe d'Huez. Anquetil et Poulidor étaient d'accord pour dire que cette montée qui ne tolérait pas la baisse de régime et qui ne permettait pas la récupération. On est tout le temps en plein effort dans le puy de Dôme.


Et il était toujours abordé en fin de parcours. Sur les 13 passages, il y a eu 10 étapes en ligne. Les coureurs l'abordaient avec 150 ou 200 kilomètres dans les jambes, sur des parcours bosselés. »

Revue de presse dans les archives de La Montagne

LE REGARD DE... 
JACQUES AUGENDRE


Ancien journaliste
(L'Equipe, Le Monde,
Midi Libre) ayant
couvert 55 Tours
de France

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A partir du péage,
il reste 4,11 km avec 12 % de moyenne, dont un passage à 17,9 %.

Le profil de l'ascension depuis Clermont-Ferrand

« On s'enroule, on s'enroule en escargot sur une pente à 12 % avec un mur de pierre d'un côté et de l'autre, le vide... C'est unique ! »